Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
coming ouSt
10 février 2008

POURQUOI LA PAROLE PRESIDENTIELLE N'EST PLUS (PAS) CREDIBLE...

Certains ont cru que Nicolas Sarkozy était un "bon communiquant", un homme au verbe rusé, au verbe qui allait forcément plaire. Fondée sur une pratique autocratique du pouvoir, la parole du président se révèle, dans ses effets, aujourd'hui, désastreuse. Analysons les causes de ce désastre en pointant quelques constats psychologiques et quelques échecs visibles.

1 - La parole du chef de l'état est une parole de l'urgence.

Il justifie cette stratégie par deux convictions : il faut créer un choc global pour mener à bien des réformes dé-structurantes / re-structurantes ; tous les dossiers se tiennent. L'urgence est donc le moteur principal de l'activité verbale de N. Sarkozy. Elle a l'avantage de le montrer comme un individu réactif et pragmatique, en somme capable de répondre aux défis et aux menaces. Cependant, tous les spécialistes de psycholinguistique signalent que ce canal de communication doit être manié avec prudence et ne peut-être efficace qu'en situation de crise. L'erreur de Sarkozy est de communiquer constamment par le canal de l'urgence. Quels effets cela produit, alors, sur un auditoire, sur une nation? Sarkozy émet des signaux violents qui se vivent en 3 étapes : nous sommes en danger / je suis là / la crise est finie. Les conséquences du jeu avec l'urgence sont considérables : tout d'abord, on ancre dans la conscience citoyenne le malaise du danger, mais aussi, et surtout, on situe l'intervention communicative dans une obligation de résultat. Un résultat rapide. Un gardien de prison qui sait habilement utiliser le canal de l'urgence devant un détenu qui le menace d'une arme blanche doit réussir par le langage à calmer la colère, à faire s'évanouir le danger et la crise, sinon c'est la mort! Si je vais jusqu'au bout de ma métaphore, Sarkozy illustre l'homme qui parle aux dangerosités de notre société pour pouvoir les maîtriser. Cette communication, basique, subtile dans un cadre approprié, a l'énorme désavantage de dire une fragilité. Car qui a la main dans ce type de dispositif? Ce n'est peut-être pas celui qui gagne. Car il gagne sur un instant court, et sans l'aide d'une culture de la complexité. Donner du sens pour construire vaut toujours mieux que colmater. En situant sa communication dans la contre-attaque spontanée, dans l'improvisation des feux allumés et éteints, le chef de l'état, dans les meilleurs cas, peut montrer qu'il peut. Mais il signale aussi qu'il n'a pas le pouvoir. Il est assez logique de voir qu'en terme de "séquences politiques" nous entrons désormais dans une ère du soupçon parce que le discours de l'urgence échoue : Sarkozy se prend des coups de couteau.

2 - La parole du chef de l'état est une parole de l'affect.

Avec lui, le discours est fort peu discours, il est mise en scène de sentiments. Certes, la plupart du temps, les sentiments exprimés sont des "sentiments politiques", mais les français se rendent compte qu'avec Sarkozy, le langage officiel est affecté par une impertinence personnelle étrange. J'appelle impertinence ce qui n'est pas pertinent. D'où vient ce ressenti? C'est sans doute que le locuteur fait se conjuguer deux fonctions du langage qui semblent stratégiquement distinctes, ou plutôt il phagocyte l'une par l'autre. Sarkozy manie avec brio la fonction injonctive ou conative du langage (il interpelle, il veut agir sur nous) et il est habile en incantations. Cette prise en compte du destinataire est évidemment un enjeu de taille pour une survie politique. Elle plaît en meeting électoral. Mais elle irrite dans un cadre institutionnel. La seconde fonction perturbe la première tant elle se nourrit d'une personnalité soumise aux passions. En effet, la fonction expressive ou émotive du discours sarkozyste (expression des sentiments, forte présence personnelle) prend le dessus dans l'acte de communiquer. Aucun français ne peut aujourd'hui ignorer que Sarkozy aime parler de lui. Ce que l'on appelle son narcissisme peut se définir comme l'incontrôlable déversement de ses préoccupations intimes dans le discours du faire, dans le discours qui interpelle l'autre. Or, pour qu'une situation de communication réussisse, il convient de croire, je dis bien de croire, qu'entre le destinateur et le destinataire, un principe d'égalité et/ou de pertinence se fait jour. Par cette difficile maîtrise verbale de ses affects, que nous signale l'hôte de l'Elysée? Répondre à cette question éuivaut à être féroce. Et pourtant.
- il dit que son intimité (comme modèle? comme signe des temps?) a sa place dans le verbe public et doit (c'est l'injonction) capter l'attention.
- il dit bien pire : que ses affects gouvernent, au nom de la fameuse conception autocratique du pouvoir observée. On peut en concevoir une grande crainte s'il s'avère un jour que cet homme sombre...
Egalité et pertinence ? L'erreur de Sarkozy est de mal connaître le peuple qu'il gouverne. D'en réfuter l'histoire psychologique. Quoique hâbleur et sinueux, le français est attaché plus que quiconque à la séparation des sphères privée et publique. Il n'admet pas l'étalage des passions. Etalage qu'il ne se permet pas, par pudeur, par renfrognement ou par souci de volupté. Et il ne peut guère respecter celui qui parle à la France de ses amours. L'égalité rompue affirme haut et fort que l'affect d'un président mérite le micro et les caméras alors que l'affect de Monsieur Dupont on s'en fout. Quant à la pertinence, le citoyen ne comprend guère le rapport entre dire ses affects et se soucier du bien commun. Il peut avoir la désagréable sensation, alors, que ce télescopage formule un dilettantisme malheureux, au détriment du collectif.

3 - La parole du chef de l'état est une parole surabondante donc abîmée.

Contrairement à ses prédécesseurs, N. Sarkozy ne croit pas à la sacralité du langage présidentiel, donc à la vertu de sa rareté. Le président parle alors beaucoup, dans un style relâché, et malgré la bonne volonté de ses collaborateurs, il constitue, sans en avoir conscience, une banque de données linguistiques d'approximations, d'affirmations surprenantes, de fantaisies risibles. Il ne parle pas pour l'histoire, il accompagne par une parole désorganisée une action que ses détracteurs veulent voir tout aussi désorganisée. La chance linguistique d'un chef de l'état - une chance inouïe si on réfléchit bien - est que son message peut être à la fois symbolique et immédiat. Je veux juste développer l'aspect symbolique puisque c'est lui qui est détruit. Le symbole devrait faire que toute parole d'un président de la République conglomère de l'approbation. Le symbole est un signe de reconnaissance. Parler au nom de la République, c'est offrir à ses concitoyens un message qui tire sa cohérence dune relation. Chaque français, même s'il n'approuve pas le discours, peut se dire : je sais d'où ce discours vient, je le reconnais comme faisant partie de mes références socio-politiques, culturelles, je peux décider ou non de lui accorder du crédit. Or, en multipliant les dialogues de l'urgence, en ramassant toutes les influences discursives, en médiatisant toutes ses interventions, Nicolas Sarkozy non seulement abîme la portée symbolique de sa tâche, mais, bien évidemment, rend inaudible sa gouvernance.

Si je veux ramasser en quelques signes les traits distinctifs du langage de ce chef de l'état en fonction - au-delà des mots, on aura compris - voici ce que je puis dire :
Sarkozy donne l'impression du danger permanent pour exister face à ce danger. Le syndrome "Human Bomb" de Neuilly est la marque de fabrique inaugurale de cette communication casse-cou. Il a un besoin enfantin de faire connaître ses sentiments : ce que l'on croit être un jeu marketing se révèle être non seulement une communication de la confusion mais donne à lire une parole acculturée. Enfin, il abîme par la multiplication des charges et des décharges le pouvoir des mots. Les mauvais sondages d'opinion de ces derniers mois délivre un message clair sur la notion de confiance, une confiance qui s'établit en partie par le langage. Le reproche des français semble être le suivant : travaille en silence, soit prêt à agir, et parle quand tu seras prêt !

insolite_218 Julie

Google, au boulot : Présidence de la République - Parole présidentielle - Communication institutionnelle - Elysée - Nicolas Sarkozy - Communication du chef de l'état - Linguistique - Psycholinguistique - Fonctions du langage - Canal de communication- confiance et sondages - pas crédible

Publicité
Commentaires
J
Hum, je sens, Anne, que vous devez un tantinet aimer le sarkozy en chef. Si la simplicité est votre cheval de bataille, vous devez être aux anges avec lui : aucune culture, des phrases de café du commerce, un haussement d'épaule incontrôlé et une blague sur sa vie privée. Emballé c'est pesé.<br /> Trêve de plaisanterie, je suis preneuse de bonne leçon. Je me laisse aller parfois à du décorticage jargonnant. Je vais revenir à des billets d'humour moins linguistiques. Promis!
A
Julie, ce que vous dites est intéressant. Cependant je voudrais vous laisser à méditer une des dernières paroles de Lao-Tseu. A la fin de sa vie il disait à ses disciples qu'ils devaient seulement rechercher trois choses: la compassion, la simplicité, et j'ai oublié la troisième-sans doute la mémoire.Bon, la compassion,gardez-la pour Villepin quand il sera établi qu'il n'avait rien à voir avec Clearstream. La mémoire, je m'en charge. Mais la simplicité, Julie, la simplicité, c'est à ça qu'on reconnait les pensées puissantes...Bonne chance. Anne
coming ouSt
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité