LE GOUVERNEMENT DE TOUS ET LE PROFIL D'UNE SEULE
Julie, machin avide de machins pensants, a suivi, hier, une conférence du célèbre philosophe Marcel Gauchet intitulée "Pour comprendre l'histoire de la démocratie".
Explicitement centré sur un champ étroit (la démocratie européenne) et sur une approche historique et sociologique, Gauchet a posé un diagnostic passionnant que je souhaite vous faire partager.
Il a tout d'abord eu cette définition de la démocratie comme mise en forme de l'autonomie humaine à la suite du processus de sortie de la structuration religieuse. Il a souligné que nous assistions aujourd'hui non à une crise de l'économisme mais à une incapacité à penser l'approfondissement de cette autonomisation. L'homme de 2009, dit-il, ne conteste aucunement le principe démocratique, mais il constate l'impuissance de sa mise en oeuvre. Et cela parce que notre modernité a abouti à privilégier un seul axe sur les trois axes du fonctionnement autonome d'une communauté humaine. Ces 3 axes sont : le politique, l'histoire, le droit. Le Politique, dit Gauchet, a réussi a imposé la forme de l'Etat - Nation (le pouvoir devient l'Etat). L'Histoire, ou plutôt l'orientation historique de nos démocraties, a privilégié un élan vers l'Avenir sans précédent et à rebours de toutes les sociétés antérieures (l'homme moderne se sent exister parce qu'il veut changer). Le Droit, s'est mis à dire le légitime autant que le légal et s'est centré sur les revendications du privé (le droit originaire des individus devient la source du légitime). C'est ce dernier constat, cette dérive, cette centration sur l'état de droit, sur les droits de la personne, qui impulse la crise démocratique, selon Gauchet. Pourquoi? Parce que nous n'arrivons plus à nous représenter collectivement ce que nous faisons, parce que l'accélération de la primauté de l'Etat-Nation nous fournit l'illusion que nous pouvons nous passer du politique (Gauchet affirme avec force : la gouvernance ne saurait remplacer le gouvernement), parce que nous vivons dans une illusion d'optique, celle que la liberté est avant tout liberté individuelle. Cette démocratie pitoyable (c'est moi qui rajoute pitoyable) des droits de l'homme fait que nous avons abandonné l'articulation des 3 vecteurs qui fondent ce régime. Nous vivons, affirme Marcel Gauchet, une démocratie sans l'Histoire et contre le Politique. Seule bonne conscience de ces droits de l'individu largement proclamés par nos modes de vie, nous croyons à des universalismes qui sont plutôt un unilatéralisme. Il faut, dit-il en conclusion, que nous arrivions à reconstruire ce régime mixte, équilibré, qui fut si frappant pendant les 30 glorieuses (1945-1975), période de miracle politique puisque l'Europe assista, sans doute mue par un désir de prouver qu'elle en était capable, à une stabilisation politique des états démocratiques, nous avons à reconstruire la mise en forme de l'autonomie.
Pendant ce discours savant, vous auriez vu votre Julie prendre des notes frénétiquement ! Cela vous aurait fait ricaner. Devant moi, ma copine Anne, philosophe subtile, écoutait pour revendiquer (elle aime ça) et nous avons longuement discuté, toutes les deux, après la conférence.
Et puis, à côté de moi, une grande brune délicieuse, fine, au profil adamantin, aux yeux de velours (oh, les clichés) jetait parfois de son stylo aérien quelques mots sur une page blanche, des mots charmants. Elle était charmante, troublante. Ce profil seul put réussir à distraire l'austère Julie de son acharnement à comprendre et à intégrer. Ah, jeune fille brune et belle, à travers les affres de la démocratie, grâce aux mots de Marcel, grâce à l'effondrement de ce régime mixte de l'autonomisation, quel beau moment j'ai passé près de votre corps de philosophe. Délicieux moment.
Julie
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