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6 février 2009

LE GOUVERNEMENT DE TOUS ET LE PROFIL D'UNE SEULE

Julie, machin avide de machins pensants, a suivi, hier, une conférence du célèbre philosophe Marcel Gauchet intitulée "Pour comprendre l'histoire de la démocratie".

Explicitement centré sur un champ étroit (la démocratie européenne) et sur une approche historique et sociologique, Gauchet a posé un diagnostic passionnant que je souhaite vous faire partager.

Il a tout d'abord eu cette définition de la démocratie comme mise en forme de l'autonomie humaine à la suite du processus de sortie de la structuration religieuse. Il a souligné que nous assistions aujourd'hui non à une crise de l'économisme mais à une incapacité à penser l'approfondissement de cette autonomisation. L'homme de 2009, dit-il, ne conteste aucunement le principe démocratique, mais il constate l'impuissance de sa mise en oeuvre. Et cela parce que notre modernité a abouti à privilégier un seul axe sur les trois axes du fonctionnement autonome d'une communauté humaine. Ces 3 axes sont : le politique, l'histoire, le droit. Le Politique, dit Gauchet, a réussi a imposé la forme de l'Etat - Nation (le pouvoir devient l'Etat). L'Histoire, ou plutôt l'orientation historique de nos démocraties, a privilégié un élan vers l'Avenir sans précédent et à rebours de toutes les sociétés antérieures (l'homme moderne se sent exister parce qu'il veut changer). Le Droit, s'est mis à dire le légitime autant que le légal et s'est centré sur les revendications du privé (le droit originaire des individus devient la source du légitime). C'est ce dernier constat, cette dérive, cette centration sur l'état de droit, sur les droits de la personne, qui impulse la crise démocratique, selon Gauchet. Pourquoi? Parce que nous n'arrivons plus à nous représenter collectivement ce que nous faisons, parce que l'accélération de la primauté de l'Etat-Nation nous fournit l'illusion que nous pouvons nous passer du politique (Gauchet affirme avec force : la gouvernance ne saurait remplacer le gouvernement), parce que nous vivons dans une illusion d'optique, celle que la liberté est avant tout liberté individuelle. Cette démocratie pitoyable (c'est moi qui rajoute pitoyable) des droits de l'homme fait que nous avons abandonné l'articulation des 3 vecteurs qui fondent ce régime. Nous vivons, affirme Marcel Gauchet, une démocratie sans l'Histoire et contre le Politique. Seule bonne conscience de ces droits de l'individu largement proclamés par nos modes de vie, nous croyons à des universalismes qui sont plutôt un unilatéralisme. Il faut, dit-il en conclusion, que nous arrivions à reconstruire ce régime mixte, équilibré, qui fut si frappant pendant les 30 glorieuses (1945-1975), période de miracle politique puisque l'Europe assista, sans doute mue par un désir de prouver qu'elle en était capable, à une stabilisation politique des états démocratiques, nous avons à reconstruire la mise en forme de l'autonomie.

Pendant ce discours savant, vous auriez vu votre Julie prendre des notes frénétiquement ! Cela vous aurait fait ricaner. Devant moi, ma copine Anne, philosophe subtile, écoutait pour revendiquer (elle aime ça) et nous avons longuement discuté, toutes les deux, après la conférence.

Et puis, à côté de moi, une grande brune délicieuse, fine, au profil adamantin, aux yeux de velours (oh, les clichés) jetait parfois de son stylo aérien quelques mots sur une page blanche, des mots charmants. Elle était charmante, troublante. Ce profil seul put réussir à distraire l'austère Julie de son acharnement à comprendre et à intégrer. Ah, jeune fille brune et belle, à travers les affres de la démocratie, grâce aux mots de Marcel, grâce à l'effondrement de ce régime mixte de l'autonomisation, quel beau moment j'ai passé près de votre corps de philosophe. Délicieux moment.


insolite_218 Julie

Google, au boulot : Philosophie - Marcel Gauchet - crise démocratique - Histoire de la démocratie européenne - Europe - Droit - Politique - Histoire - Economisme - Gouvernance et gouvernement

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Commentaires
D
Merci pour vos réflexions intelligentes chère Lux. Je viendrai vite poursuivre ces réflexions. Ce soir, compte tenu de l'émotion que m'a procuré Julie (voir le fil sous le thermomètre n°66), je n'ai plus toute ma tête ... Et c'est gênant pour débattre !<br /> <br /> David
L
C'est aussi ce que j'aime beaucoup sur votre blog, Julie, car vous n'êtes pas en reste et donnez le ton. Pour moi, pas de rubrique préférée (cf échanges sur le thermomètre de Julie) , mais j'aime chaque fois que Julie décale (en rythme) ou fait le grand écart (en souplesse).
J
Je ne veux pas m'engouffrer dans un duo de juristes (et pourtant j'ai bien des trucs à dire). Simplement pour rire, étayer Marcel Gauchet avec Zizi Jeanmaire, y'a que sur ce blog qu'on peut faire ça. Je suis ravie.
L
Bonjour David,<br /> Mon interrogation concernant la théorie de Gauchet consistait à savoir quelle influence avait le volet économique sur les 3 piliers de la démocratie, c’est à dire si la prospérité économique était ou non néfaste au fameux équilibre, ou même si elle avait la moindre influence. « La crise économique, en tant qu’épreuve individuelle et collective, peut contribuer à recréer les tissus de la collectivité » dites-vous. Probablement que tout est dans le « peut » de votre phrase, parce qu’il me semble que l’on puisse aussi tout à fait tenir un discours inverse en disant qu’une crise économique peut ( !!) contribuer à faire que chacun se replie sur soi-même et cherche à sauver sa peau, alors qu’en situation de prospérité, dégagés des contingences matérielles, les individus peuvent s’axer sur d’autres réflexions et valeurs. On comprend bien qu’ici, par « prospérité économique », on suppose que tout le monde y trouve son compte…Du coup, il me semble que le tout n’est pas de constater s’il y a, ou non prospérité économique, mais de mesurer la proportion d’individus touchés par cet état positif ou négatif. Et de ce point de vue, force est de constater que ce qui crée le collectif est d’abord la somme des individus concernés : l’individu a d’abord besoin d’être touché individuellement dans sa situation, puis, il prend conscience du nombre (et là s’agrègent ceux qui sont en situation individuelle neutre), pour ensuite, seulement, aller vers une pensée plus collective, développer de l’empathie et construire quelque chose de nouveau collectivement en se dégageant de sa situation personnelle de départ. Je crois assez à ce qui fonde l’intérêt général en droit public : Intérêt Général > SOMME (intérêt particulier « individu A » : intérêt particulier « individu Z »). Cela signifie que l’intérêt général n’est pas déconnecté des intérêts particuliers, mais il doit dépasser la simple somme de ces intérêts. Je crois que c’est aussi valable lorsque l’on parle des droits individuels et collectifs : on devrait pouvoir les prendre tous, mais si on se contente de les juxtaposer, même en tenant compte de tous les individus et de toutes les situations (liberté d’expression, droits des minorités, etc…) sans chercher à sublimer le tout, on se trompe. Et si, à l’inverse, on recherche trop à noyer les identités dans le collectif rassembleur, on se trompe aussi. Dans la formule de l’IG, reste à déterminer : le périmètre d’action (individus à prendre en compte), le truc en plus (comme dirait Zizi Jeanmaire) qui sublime le tout.
D
Quelle belle surprise que ce commentaire de Lux ! Intelligent, critique et constructif ! Voilà qui lance un débat digne du compte-rendu de la conférence à laquelle Julie a assisté.<br /> <br /> Lux, je n'ai pas moi-même assisté à cette conférence, mais je vais me permettre de vous livrer mon point de vue. Les notes de Julie sont intéressantes, mais elles s'interrompent au moment où la brune pulpeuse qu'elle avait repérée a libéré sa poitrine d'une étole que la chaleur ambiante commandait de retirer. A compter de ce moment, la Julie s'est davantage livrée à des observations géographiques et à des repérages topographiques qu'à une réflexion politique ou sociologique.<br /> <br /> Depuis longtemps, Marcel Gauchet prend le pouls de la démocratie et nous livre des réflexions souvent profondes et originales. Pour lui, la démocratie repose sur trois piliers principaux : l'Etat Nation, les droits individuels et l'orientation historique. C'est de la coexistence harmonieuse et de l'équilibre respectif de ces trois piliers que découle le bon fonctionnement de la démocratie. Selon Gauchet, la prééminence de l'un d'entre eux, ou son dysfonctionnement propre est susceptible de rompre l'équilibre général et, par suite, de fragiliser la démocratie ou de la plonger dans une crise. A ce titre, Marcel Gauchet constate que le développement déraisonnable des droits humains au cours des dernières années a contribué à favoriser un individualisme devenu excessif au détriment de l'esprit collectif.<br /> <br /> C'est donc cet excès d'individualisme, encouragé par la reconnaissance de droits humains toujours plus larges et qui se superposant par catégories, qui isole les individus dans leur intimité, dans leur communauté ou dans leur particularité, et qui étouffe chez eux le sentiment d'appartenance à une collectivité. C'est le point de vue que j'ai partiellement défendu (à quelques nuances près) lors du débat entretenu avec Julie sur la grève.<br /> <br /> Pour répondre à l'interrogation de Lux, il me semble que la prospérité économique ne suffit pas à recréer cet équilibre perdu, dans la mesure où cette prospérité est aussi un encouragement à l'individualisme et à l'égoïsme. Dans le même esprit, la formule selon laquelle la liberté de l'un s'arrête où commence celle de l'autre (à laquelle je suis moi-même attaché), me semble constituer une manifestation de cet individualisme stigmatisé par Gauchet (puisqu'elle consacre la jouissance d'une liberté personnelle dans la sphère individuelle sans aucune interaction nécessaire entre les individus qui en jouissent). Chacun est alors claquemuré dans sa liberté et ne souffre aucun trouble pourvu qu'il n'empiète pas sur celle de son voisin.<br /> <br /> Au contraire, il me semble que la crise économique, en tant qu'épreuve individuelle et collective, peut contribuer à recréer les tissus de la collectivité, l'adversité ayant parfois la vertu de rapprocher des êtres que l'opulence avait éloigné.<br /> <br /> Qu'en pensez-vous ?<br /> <br /> <br /> David
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