JULIE, COMME D'HABITUDE

Naguère, la vie consistait en une apparente continuité. On vivait sans I-Phone, sans Rolex, sans supermarché discount, sans tendance et sans courbe, sans rapidité et sans calcul. On mesurait peu, on gardait un oeil sur le soleil levé et sur son couchant organdi, on vivait du travail de nos muscles, on ne savait pas que la pénibilité pouvait remplacer l'effort, on était dans l'acceptation des conditions et dans une sorte de morosité coquine qui donnait de l"éclat au bonheur.

Puis vint le temps des chiffres, le temps des mesures, le temps du cri hautain du nombre.

Chaque jour, désormais, l'emploi du temps découpe les abattis de l'homme dans des cases, l'info crépite de fulgurances normées, d'annonces boursières, de sondages crottés, crottés car chassés par la vidange du précédent, l'humain devient un résultat, il est un paramètre, il numérise, transmet en temps réel, coche et décoche, sécurise ses achats, anticipe, fractionne son temps libre, vérifie la programmation de sa cafetière, met l'alarme de la maison et oublie d'apercevoir le soleil se coucher.

Puis vint une nostalgie quasi rousseauïste dans nos têtes. Un élan de nature qui était logé là et qui voulait sortir. On le fit attendre, on le montra du doigt comme maladie au malade, on le nomma artifice pour s'en débarasser. Et ce sentiment disparu, on se montra content d'avoir peu cédé aux tourments d' un écoeurement si primitif.

Certes, de temps en temps, on raconte à son psychanalyste qu'on a envie profondément d'un monde paisible, d'un air nettoyé de calculs et de résultats, d'un univers où les puces ne seraient que bestioles qui piquent. On raconte comment c'était bien d'être un homme sans autre perspective que de vivre, on raconte combien vous manquent  les appels instinctifs de la simplicité : goûter un vin à boire, un corps à caresser, un discours à comprendre. On dit tout cela les yeux fermés, les lèvres rompues par une toute petite enfance, cette fragilité qui ose s'étendre.

Et l'on entend du fond d'un appétit : Mademoiselle, c'est terminé, cela fait, comme d'habitude, 65 euros...

 Julie

Google, au boulot : Fable - naguère et aujourd'hui - des chiffres et des lettres - cela fait 65 euros, et en liquide, mademoiselle - bestioles qui piquent - psychanalyse

Comments

[Julie]

Eh, Fernand, c'est magnifique : vous lisez mes anciens textes ! Cela me fait plaisir et me dit que vous allez, peut-être, si je ne vous ennuie pas un peu, être un garçon fidèle : sur ce blog de petite lesbienne écervelée, seuls les mecs m'aiment. Et en plus, ils rient ! Vous êtes donc ici chez vous, cher Fernand !

[Fernand]

La chute m'a bien fait rire.

Et en liquide en plus. :D

[David]

Votre texte est magnifique Julie.

Il mérite le respect et la méditation. Donc le silence de ma part.

David